Cette interview a été réalisée dans le cadre d’une démarche lancée par le CRT pour créer avec les acteurs du tourisme un « écosystème d’innovation touristique ».

Portrait Julien Aubrat

Julien Aubrat

Directeur adjoint de Tourisme Loiret,
Agence de développement et de réservation touristique du Loiret

« Pour moi, l’écosystème ce serait un lieu avec une bonne gouvernance où l’on ait le courage de poser les questions difficiles sur les mutualisations et les coopérations »

Julien Aubrat est directeur adjoint de l’Agence de développement et de réservation touristique du Loiret. Avec son directeur, la question de l’innovation touristique les a interpellés : certes, innover dans l’expérience de visite peut être très utile pour se différencier. Mais est-ce vraiment ce dont nous avons besoin aujourd’hui ?

Est-ce que notre enjeu majeur ne serait pas d’abord d’assurer les fondamentaux du tourisme ? « La chaleur, c’est vraiment ça qu’il faut pousser » nous dit-il.

Est-ce que ce ne serait pas aussi d’apprendre à mutualiser et à penser clients ? Ce serait peut-être une innovation organisationnelle pour laquelle Julien pointe l’importance d’impliquer les élus locaux aux côtés des techniciens.


Bonjour Julien Aubrat, qui êtes-vous ?

Bonjour. Je suis directeur adjoint de Tourisme Loiret, l’Agence de développement et de réservation touristique du Loiret (ou ADT 45).

Nos atouts touristiques sont la proximité de Paris et notre situation sur le Val de Loire, avec la proximité des châteaux. Nous bénéficions d’une très bonne desserte vers l’Île-de-France, ainsi que de la présence de la métropole d’Orléans qui génère du tourisme d’affaires. Mais nous avons aussi des contraintes : notre destination ne parle pas au national. Et le Loiret est malgré tout dans l’ombre des grands sites du Val de Loire, dont nous recevons peu de flux par ruissellement.

En termes de stratégie, l’agence est positionnée dans un équilibre entre 2 volets. Le premier est de renforcer le contenu touristique : aider et professionnaliser les porteurs de projets, qualifier et labéliser l’offre pour qu’elle soit attractive et qu’elle ait une meilleure visibilité.

Le second volet est la communication, la notoriété, la conquête de clients.

Nous veillons à maintenir l’équilibre entre ces 2 volets, car si nous voulons tenir nos promesses, il est important de ne pas aller trop vite en communication : même si nous avons des paysages somptueux, il faut être certain de pouvoir bien accueillir les touristes et de leur proposer les activités qu’ils attendent…

Une autre particularité dans notre agence est que nous avons un service de réservations qui travaille principalement sur la clientèle de groupes. C’est un service sur lequel nous avons réussi à nous professionnaliser et qui a pris de l’ampleur. Notre objectif n’est pas d’être très rentables pour l’agence, mais de générer du volume d’affaires pour les professionnels, sur une clientèle qu’ils ne capteraient pas tout seuls. C’est en quelque sorte un service public commercial.

L’agence se positionne aussi en intermédiaire qui anime le réseau des offices de Tourisme, ceux-ci faisant de l’accueil de touristes, de la communication, et de l’accompagnement des professionnels. D’ailleurs, nous pensons que par ces accompagnements, nous avons construit une relation assez forte avec les collectivités, les offices de tourisme, et les professionnels. Nous sommes devenus un interlocuteur assez légitime pour certains enjeux de territoire.

Lorsque c’est vous qui êtes touriste, qu’est-ce que vous aimez ?

J’aime plein de choses…

J’aime surtout que le voyage m’apporte quelque chose que je ne vis pas dans mon quotidien, avec une découverte de lieux et d’ambiances, pas nécessairement très loin. Ce « quelque chose » peut être dense ou, au contraire, déconnecté et calme car, justement, c’est quelque chose que je ne vis pas au quotidien…

Si je voyage en famille, je cherche un environnement propice pour que nous le vivions avec facilité, pour que nous en ressentions quelque chose ensemble avec le moins de tracas possible.

Avez-vous des projets d’innovation au sein de Tourisme Loiret ?

Après votre sollicitation, nous avons reparlé innovation avec mon directeur. Et nous pensons la même chose : nous sommes fatigués de voir tout le monde, partout, se sentir obligé de chercher de l’innovation. Tout est innovation ! Comme si pour exister demain, il fallait forcément créer une rupture. Mais je ne suis pas certain qu’on ait besoin d’une rupture pour être performant ou pour satisfaire les clients… Ni que ce soit ce dont les professionnels du Loiret ont besoin, ou encore que ce soit l’élément différenciant pour notre destination. L’innovation ce n’est pas forcément le Graal ! Avec mon directeur, nous nous méfions de l’innovation « gadget » et des expérimentations qui n’aboutissent pas…

Mais « La chaleur », je pense que c’est vraiment ça qu’il faut pousser ! Pour faire la différence, il faut des offres de qualités, s’adresser aux bonnes clientèles, et travailler sur l’accueil et l’hospitalité. Or, dans le Loiret, où nous avons une clientèle de passage et de tourisme d’affaires, tous les professionnels ne sont pas acculturés au tourisme…

Je ne dis pas que nous limiterions nos envies d’innovation si nous tous, acteurs du tourisme publics ou privés, étions au top ! En stations de montagne par exemple, même si le modèle est questionné quant à l’avenir, ils sont souvent très performants : l’accueil est bon, l’accès aussi, et il y a de tout, des bars, de la fête… Ils peuvent donc aller chercher des innovations dans les offres touristiques, comme inventer des activités dans la forêt, ou monter des bars complètement hallucinants, en haut des pistes, avec un dance floor à l’extérieur de l’électro à fond, et où l’on danse en chaussures de ski. Oui, là, il y a eu rupture dans l’offre touristique classique !

Mais en région Centre-Val de Loire, mis à part sur quelques destinations qui sont allées très loin sur la qualité de l’accueil ou sur les offres, nous n’en sommes pas là dans tous les territoires ! Nous avons encore du chemin à faire sur de nombreux sujets essentiels ou bien encore sur la fluidité du parcours clients entre les différentes destinations infra-régionales…

Autre exemple concernant le digital, grâce au partenariat avec le Comité Régional de Tourisme, nous déployons un outil de vente en ligne, la « place de marché ». L’outil répond à un véritable besoin, mais il est encore lourd à mettre en place pour certaines prestations touristiques… Et du côté client, si l’on achète 3 visites différentes, on doit faire 3 paiements différents ! En termes d’ergonomie, on est très en dessous des standards attendus par les clients. Donc même si l’outil est déjà bien, ce qui nous aiderait, ce serait un outil encore plus performant, plus fluide, plus ergonomique… Ça, ce n’est pas forcément de l’innovation, c’est juste un outil plus simple, que d’autres secteurs utilisent déjà.

Et l’étape d’après, ce serait d’avoir, à l’échelle nationale, un outil commun de paiement qui fasse tout : billets de train, hôtels, visites ! Mais on n’en est pas encore là. 

Quelle expérience mémorable aimeriez-vous qu’un touriste puisse vivre lors de son séjour en Centre-Val de Loire ?

C’est un peu classique, mais ce serait cet enchaînement d’activités sur un séjour.

Ce qui fait la richesse de notre région, c’est cette diversité d’offres, entre patrimoine, jardins, activités de loisirs… L’objectif serait de la faire découvrir au fil de l’eau, un jour à vélo, un jour en voiture, un jour en canoë… Mais c’est vite compliqué à organiser.

Dans l’idéal, il faudrait donc supprimer les barrières entre chaque prestation, qui nécessitent pour les clients de faire plusieurs réservations, plusieurs paiements. Mais aussi de faciliter les changements de mode de transport.

À titre d’exemple dans les destinations de bord de mer, pour les promenades en bateau, vous avez généralement un « guichet unique » qui permet de choisir sa balade, même si derrière il y a peut-être différentes entreprises. Mais pour le client ça peut être transparent. Il nous faut avancer collectivement sur l’amélioration des offres en adoptant une véritable approche centrée sur le client. Cela implique des mutualisations, des concessions, des adaptations.

Que faudrait-il améliorer pour rendre cette expérience possible ? Quel rôle pourrait jouer un écosystème d’innovation touristique pour y contribuer ?

Pour y arriver, nous avons besoin d’intelligence territoriale et de coopération. Nous avons besoin de mutualiser. Mais les caractéristiques territoriales font que la mutualisation est difficile. Par exemple, sur le vélo il y a plusieurs sites : « en Roue Libre », « Rando Vélo », « France Vélo Tourisme », celui du conseil régional, notre propre site de l’agence, et ainsi de suite… C’est une absurdité ! À l’heure où les budgets sont contraints et rares, ce serait de notre responsabilité de prendre conscience de notre capacité à mutualiser.

Récemment, il y a eu webinaire très intéressant sur la « Fusion des sites Internet de l’Agence de développement touristique et des offices de tourisme de la Creuse ». En tout, ils ont 7 sites web, et ont fusionné pour n’en faire qu’un. Mais pour arriver à faire ça, cela a été, semble-t-il, un travail titanesque ! Il leur a fallu convaincre les élus et les responsables d’offices. Or nous avons un réflexe : « Je ne vais pas me faire absorber, ma structure va perdre dans la mutualisation ».  Il leur a peut-être fallu 5 ans de travail et que les étoiles soient bien alignées pour y arriver…

Je ne dis pas que c’est un exemple à suivre, mais il a le mérite de poser de manière très concrète la question de la mutualisation, du coût des sites internet, en particulier pour des sites qui génèrent parfois un trafic modeste, alors que leur maintenance et leur référencement représentent des coûts très élevés. Et pour le client, est-ce moins clair qu’avec des sites distincts ? Nous devons trouver les lieux pour échanger sur ce type de sujet.

C’est un travail d’amélioration qui est lourd. Or, pour les donneurs d’ordres et les partenaires, une action un peu innovante génère parfois plus facilement de la visibilité… Elle peut offrir un meilleur retour sur investissement en termes de visibilité.

Nous nous laissons prendre au piège sur le fait que le tourisme sert aussi à la fierté des territoires, à montrer qu’on existe bien. Certains offices de tourisme sont tiraillés entre la fréquentation hivernale qui pousserait à limiter les périodes d’ouverture, et la volonté de montrer qu’on est un territoire dynamique et donc que c’est ouvert le plus souvent possible. Mais collectivement, ça ne sert pas à notre vocation première : faire venir les touristes le plus longtemps possible, et faire qu’ils reviennent.  

Il est certainement difficile de nous améliorer, parce que nous courons plusieurs lièvres à la fois… Nous aurions besoin de coordination pour créer un effet de masse, pour faire des choses ensemble et partager des priorités, car nous ne pourrons pas tout faire à 100%.

Pour moi, l’écosystème, ce serait un lieu avec une bonne gouvernance, c’est-à-dire avec les techniciens, mais aussi avec les élus, pour débattre des problématiques. Un lieu où l’on ait le courage de poser les questions difficiles sur les mutualisations et les coopérations, pour que cet écosystème nous permette de mutualiser, de nous partager les missions, et de faire ensemble plus efficacement et moins chers.

Mais pour y arriver, ça demande des renoncements… Et pour renoncer, il faut qu’on voit qu’on y gagne.

Finalement, à l’issue de nos discussions, comment définiriez-vous l’innovation touristique ?

Il y a des innovations en termes d’expérience qui sont intéressantes pour les clients et qui créent des ruptures (dans les services, l’équipement vélo, les routes connectées, les applications …). Je dis juste que je ne mets pas l’innovation en priorité principale. Ou alors, peut-être qu’il nous faudrait une innovation organisationnelle, qui fasse rupture dans notre organisation ou dans l’amélioration de notre offre…

Mais surtout, il ne faut pas perdre nos fondamentaux : « Back to Basics ». Pour des départements comme le nôtre, les touristes veulent profiter d’un séjour au calme, des paysages, du patrimoine, mais… sans renoncer à être connectés. À partir de cet exemple, on doit veiller à deux priorités : travailler en lien étroit avec les collectivités pour préserver nos paysages, nos entrées de villes et de village, pour ne pas être perçu dans quelques années comme l’extension de l’Île-de-France dans ce qu’elle véhicule de peu attractif. D’autre part, il nous faut garantir la possibilité d’utiliser son téléphone portable.

Ce n’est pas de l’innovation technologique ça… Je le redis : « Back to Basics ».

Contact : Sophie Martinez Almansa, Responsable Innovation, Territoires et Compétences
07 84 16 03 81 – s.martinez@centre-valdeloire.org

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