Cette interview a été réalisée dans le cadre d’une démarche lancée par le CRT pour créer avec les acteurs du tourisme un « écosystème d’innovation touristique ».

portraits Christine Fauquet / Veronique Savanarin

Christine Fauquet et Véronique Savaranin
Élue au Val d’Amboise et directrice de l’office de tourisme

« Notre objectif n’est plus d’avoir un tourisme de quantité, mais de garantir la qualité »

Christine Fauquet, élue à la communauté de communes du Val d’Amboise, et Véronique Savaranin, directrice de l’office de tourisme, nous invitent à un échange dynamique sur les enjeux de territoire à forte fréquentation touristique, en particulier sur la ville d’Amboise, sur les besoins de compétences et de collaboration – à tous les niveaux – , et l’envie de participer à un Lab d’innovation touristique et collaboratif qui donne des idées et l’envie de partager.


Bonjour Mesdames Fauquet et Savaranin, qui êtes-vous ?

VS : Bonjour, je suis Véronique Savaranin, la directrice de l’office de tourisme Val d’Amboise.

CF : Et je suis Christine Fauquet, maire de Saint-Règle et vice-présidente de la communauté de communes du Val d’Amboise en charge de la culture et du tourisme. Je suis également élue au conseil régional, où je siège à la commission culture, tourisme et coopération internationale.

Quels sont les enjeux du tourisme dans le Val d’Amboise ?

CF : Vis-à-vis du tourisme, notre communauté de communes a une particularité : nous sommes un territoire composé de 14 petites communes, dont Amboise, qui draine un très gros volume de touristes. Ce qui produit une très forte concentration touristique, notamment dans le centre-ville. Cette concentration pose des problèmes de trafic, de circulation et de parking. C’est pourquoi la régulation des flux, en coopération avec les grands sites, est un enjeu important pour nous.

VS : Ce phénomène de surfréquentation induit pour nous une problématique économique et réglementaire pour un territoire de près de 34 000 habitants dont les infrastructures doivent en saison touristique s’adapter à une fréquentation qui explose… « l’effet Mont-Saint-Michel ». Pour accueillir ce volume de visiteurs, cela demande des investissements énormes tant en infrastructures, aménagements et services… une pression forte qui s’exerce en particulier pour la ville d’Amboise qui compte seulement 14 000 contribuables !

CF : En tant qu’élue, je vois également 2 choses qui ont beaucoup évolué ces dernières années : avant, les Offices de Tourisme étaient très tournés vers le centre-ville.  Maintenant, avec l’intercommunalité, nous travaillons à mieux intégrer les potentiels d’attractivité des autres communes de notre territoire pour enrichir et diversifier l’offre touristique de notre destination. C’est ce que nous souhaitons faire, par exemple au niveau culturel en créant une saison culturelle intercommunale. Il faut réfléchir de la même manière avec le tourisme.

La seconde évolution est le regard des habitants : avant, plus il y avait de touristes, plus ça attirait les habitants. Maintenant, ce n’est plus ce qu’ils recherchent : ils n’ont plus forcément envie de vivre dans cette concentration. Le nombre de nos habitants baisse… et ce dans un contexte de phénomène de bulle économique avec des investisseurs qui achètent pour faire de l’hébergement touristique. On ne doit pas dissocier le tourisme et les habitants…. Ils ont leur rôle à jouer dans cet écosystème où notre objectif n’est plus d’aller vers toujours plus de touristes, mais de pouvoir garantir la qualité d’une expérience touristique en Val d’Amboise. Mais là encore, nous devons impérativement veiller dans le même temps à prendre en compte la question du modèle économique de nos locomotives touristiques qui ont investi pour garantir un accueil massif de visiteurs. Ils ont besoin de fréquentation… D’où le travail sur la satisfaction du visiteur que nous menons avec le CRT.

Pour traiter ces questions, un EPIC a été créé en 2022 (Etablissement Public Intercommunal de Coopération) qui réunit des professionnels du tourisme, dont les 4 principaux sites (le château royal d’Amboise, le Clos Lucé, le château Gaillard et la pagode de Chanteloup), avec des représentants des collectivités et des socioprofessionnels.

Et portez-vous des démarches d’innovation touristique ?

VS : Cette question n’est pas facile… Vous avez fait circuler un questionnaire qui demande de proposer des idées d’innovation. Mais je ne me sentais pas à l’aise pour y répondre… S’il y avait déjà une dynamique d’installée, ce serait facile ! Mais lorsque je passe en revue nos actions, nous sommes sur des nouveautés plutôt que des innovations…

La question de l’innovation est plus profonde. Et je ne sais pas si les professionnels qui, avec des saisons de plus en plus longues (avec seulement 3 mois pour préparer la prochaine), ont la possibilité de se pencher seuls sur le sujet. Mais il y a un besoin. Les Offices de Tourisme ont besoin d’un Lab d’innovation touristique pour aider les professionnels du tourisme à anticiper l’évolution des tendances pour ne pas la subir !

Si l’innovation technologique apparait comme une réponse à un besoin de modernisation, je dirais que ce qui est important aujourd’hui, c’est l’innovation économique ! On parle de partenariats, de mécénats, etc… On sent que la question du modèle économique nécessite un véritable accompagnement.

CF : Si l’on est à parler innovation, déjà, est-ce que les fondamentaux sont remplis ? C’est-à-dire parler un minimum anglais, la qualité des lits… C’est la notion d’accueil. En Île-de-France, j’ai vu des hôtels super branchés, avec des technologies innovantes, mais un personnel aimable comme une porte de prison… On doit réfléchir sur la base.

VS : Effectivement, il y a le problème du recrutement et de l’expertise métiers. Notre tourisme en Val d’Amboise est composé de clientèles françaises et internationales, ce qui mobilise des compétences spécifiques. Est-ce qu’on embauche quelqu’un qui parle bien anglais, ou bien un bon serveur ? C’est difficile d’avoir les deux en même temps dans un contexte où les candidats tendent à manquer… Dans un même ordre d’idée, on peut s’interroger sur la réalité des TPE ou PME qui doivent maîtriser les ficelles du webmarketing alors que leur business souffre de personnels sur des métiers de base.

Au sein de l’Office aussi il y a nécessité de transformer notre métier… Face à nous, nous avons des touristes qui attendent du contact humain et surtout un service client qui prennent en charge leurs besoins d’accéder à des offres ou services plus personnalisés. Nous devons faire de la médiation numérique, de la médiation sociale quand il y a un problème sur un séjour, de la médiation commerciale, de l’appui promotionnel, du webmarketing, être régisseurs… On nous demande également d’être le trait d’union entre tous les acteurs du tourisme et d’être au plus proche des besoins des touristes via un plan d’actions hors les murs… C’est beaucoup de métiers à maitriser quand nous ne sommes qu’une brochette d’employés. Et ça pose la question de la formation de base : est-ce que le tourisme tel qu’il est enseigné à l’école est encore adapté à nos besoins ? Comment développer l’attractivité de ces métiers ?

Pour nous épauler, nous avons eu ce besoin spontané de nous réunir avec les autres directeurs d’Offices de Tourisme d’Indre-et-Loire. C’est une super mise en réseau spontanée qui n’a pas encore de structure, mais qui nous permet de créer des synergies. Et nous avons besoin d’apprendre à travailler ensemble à tous les niveaux.

CF : Le problème, c’est que nous n’avons pas les moyens de notre ambition. C’est une question de politique et de choix économique.

Cela dit, sur les questions de l’innovation et des mobilités, nous sommes en train de monter un projet avec le CRT.

Un projet sur la mobilité ? Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?

CF : Avec le CRT, nous sommes en train de répondre à un appel à manifestation d’intérêt (AMI) publié par Atout France. Notre question est notamment « le dernier kilomètre » : comment faire pour que les touristes puissent facilement aller de la gare vers les sites et leur hébergement ? Nous allons servir de pilote pour des actions liées aux mobilités.

VS : Concernant « le dernier kilomètre », il y a là un enjeu à pouvoir apporter une réponse aux touristes quand dans le même temps les taxis vont privilégier les courses les plus lucratives. On comprend bien sûr cette position. Mais elle n’enlève pas moins la nécessité de trouver des solutions qui permettent de garantir les déplacements de courtes distances sur notre territoire où l’expérience touristique d’un séjour en Val d’Amboise, et en Val de Loire plus généralement, induit la notion d’itinérance entre les différents pôles d’attractivité touristique de la destination Val de Loire.

CF :  Je pense malgré tout qu’on pourrait conventionner avec eux, pour qu’il y ait un tarif minimum. Pour qu’ils se sentent impliqués dans la démarche, il faudra les consulter collectivement.

VS : En matière de mobilité, nous travaillons à la gestion des flux en Val d’Amboise et cette problématique n’échappe pas à l’itinéraire de la Loire à Vélo : avec une fréquentation qui augmente encore cette année de 20%, nous devons anticiper la fluidification du trafic pour garantir une expérience touristique remarquable !

J’ai vécu une expérience très inspirante au Luxembourg : on avait décidé de ponctuer un itinéraire vélo d’aménagements et de mobiliers d’interprétation du patrimoine pour asseoir le storytelling du territoire. L’idée n’était pas uniquement d’être dans l’observation et la découverte, mais bien de créer des animations en fonction des différentes pratiques et différentes cibles. Le matin jusqu’à 11h, la voie cyclable est réservée aux vélos de course. Puis, il y a « la route des peintres » avec des tables de pique-nique et des outils d’interprétation du patrimoine pour que les familles y viennent l’après-midi. Et finalement des balades–jeux de piste dont les départs sont programmés à certaines heures. Toutes ces animations permettent de décaler les différents usages de cette route à vélo.

CF : Ça pourrait être fait chez nous…

Et pour nous aider face à ces enjeux, quelle forme pourrait prendre un écosystème d’innovation touristique ?

VS : Comme je le disais, un Lab d’innovation touristique est essentiel pour permettre aux acteurs de piocher dans les expérimentations la réponse à leurs besoins ! La R&D est un coût important que les acteurs du tourisme local ne peuvent porter individuellement. En ce sens, un Lab représente un enjeu.

Avec toutes les fonctions que l’on nous demande de remplir, est-ce que nous ne sommes pas arrivés aux limites en termes d’efficience et de résilience ? Est-ce que ce n’est pas l’innovation qui nous permettrait de progresser ? Mais sur cette question de l’innovation, les acteurs économiques du tourisme peuvent se sentir seuls et parfois en manque d’inspiration. Nous ne sommes pas outillés pour… Il faudrait qu’il y ait des bancs d’expérimentation identifiés qui recensent ce qui se fait, et dont nous pourrions nous inspirer. Par exemple, un Office de Tourisme pourrait tester une solution, et ensuite la partager pour que tout le monde en profite. Il faudrait que l’expérimentation puisse être portée par les services publics, et qu’elle soit reprise par les professionnels et les fédérations interprofessionnelles.

Ce Lab devrait aussi être un lieu d’échanges de bonnes pratiques. Nous avons aussi besoin de plateformes communes. Par exemple, au niveau national, il y avait une plateforme d’aide à la maîtrise des langues étrangères dans le tourisme, mais elle a cessé son activité. C’est bien dommage…

CF : Pour le Lab, il faut du collaboratif, vraiment. Il faut qu’il soit concret et sans vocabulaire abscons, car on peut à la fois être innovant, pratique et concret. Et justement, sur la question de l’innovation, c’est l’expérimentation qui va motiver les professionnels. Il y a plein de choses qui sont expérimentées, mais que l’on ne sait pas…

Finalement, à l’issue de notre discussion, comment définiriez-vous l’innovation touristique ?

CF : Effectivement, nous avons besoin de définir ce que nous entendons par innovation. Ce qui serait innovant, ce serait de remettre l’humain au cœur de l’innovation touristique. C’est clair : les gens ont envie qu’on leur raconte une histoire. Les gens ont besoin d’avoir des sensations, des émotions et de se nourrir de rencontres…

VS : Oui, j’adhère à 100 %

Contact : Sophie Martinez Almansa, Responsable Innovation, Territoires et Compétences
07 84 16 03 81 – s.martinez@centre-valdeloire.org

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