Cette interview a été réalisée dans le cadre d’une démarche lancée par le CRT pour créer avec les acteurs du tourisme un « écosystème d’innovation touristique ».
Laurent Cherrier
Directeur du Camping Les Saules et vice-président du Syndicat Régional Hôtellerie Plein Air
« Les touristes ne se posent pas la question des frontières. Ça ne les intéresse pas… »
Laurent Cherrier est directeur du Camping Sites et Paysages Les Saules à Cheverny, et vice-président du Syndicat Régional Hôtellerie Plein Air. Le tourisme qu’il aime, « c’est permettre des rencontres pour que ces visiteurs repartent avec des souvenirs, plutôt que des coups de soleil et des selfies ».
Laurent nous parle de ses succès et de ses échecs sur la mobilité des touristes, et de ses employés. Il nous parle aussi de data, qui lui permettent de segmenter les clients de son réseau, pour leur adresser des messages qu’ils vont ouvrir et avoir plaisir à lire. Mais, surtout, il nous fait part de son vécu sur la dispersion des initiatives, et de sa vision d’un écosystème touristique pour en faire « une machine de compétition touristique ».
Bonjour M. Cherrier, qui êtes-vous ?
Bonjour, je suis le directeur du Camping Sites et Paysages Les Saules à Cheverny. C’est un projet familial : nous l’avons acheté en 2003 avec mon épouse et ses parents. C’était un bel emplacement, qui avait été créé en 1985 et qui a été très connu. Mais, entre 2000 et 2003, il a été fermé et rouvert à plusieurs reprises. Quand nous l’avons racheté, il était en ruine… C’était une page blanche, et ça nous a permis de lui écrire une histoire, telle que nous le voulions !
Et nous avons voulu faire tout le contraire des autres ! À l’époque, dans les campings, il fallait avoir des animations : faire venir un chanteur, élire « miss camping », organiser des bingos… Mais, pour nous, le camping, c’est une bulle de liberté. « Je fais si je veux ! ». Ne pas avoir de contraintes horaires… Alors, notre positionnement a été d’organiser zéro animation. Si l’on veut faire les choses bien, il faut aimer ce qu’on fait et ne pas s’en écarter. Nous nous y sommes tenus, et c’est ce qui a fait la différence quand nous nous sommes installés.
Au-delà du camping Les Saules, je suis aussi impliqué dans plusieurs associations : je suis – entre autres choses – le vice-président du Syndicat Régional Hôtellerie Plein Air (SRHPA), et le vice-président du réseau national Sites et Paysages. C’est une chaîne de 50 campings à taille humaine et participatifs. Le camping tel que nous le concevons dans ce réseau, c’est de découvrir une région et de partager avec d’autres campeurs, pour revenir avec des souvenirs et pas seulement des coups de soleil et des selfies. On est connectés à la nature, mais aussi aux autres…
La rencontre est dans l’air du temps, et ce sont ces souvenirs qui nous aident à commercialiser.
Lorsque c’est vous qui êtes touriste, qu’est-ce que vous aimez ?
J’aime marcher, découvrir, bien manger. Avec mon épouse, nous aimons la randonnée urbaine et faire des road trips avec des étapes. Là, nous revenons tout juste de Corse !
Par contre, et peut-être que c’est dû à notre métier, nous n’allons pas chercher l’échange ou le partage quand nous voyageons… Nous avons, au contraire, besoin de créer une bulle très serrée autour de nous : nous n’allons jamais en chambre d’hôtes, nous n’allons pas faire de visites guidées. Mais il n’empêche que nous sommes des curieux actifs.
Avez-vous des projets d’innovation touristique dans votre camping ?
Avant Les Saules, nous gérions un autre camping blésois. Et un confrère nous disait qu’il fallait toujours surprendre, même si parfois ce n’est que la couleur qui change, car rien n’est acquis. Il faut toujours innover, créer de nouveaux services, aménager. Sinon, on régresse.
Et la clientèle change aussi. Il y a 35 ans, les campeurs étaient uniquement des campeurs : ils achetaient un guide de camping, on était dedans, et c’était facile. Mais maintenant, ils peuvent louer un Airbnb, aller dans un gîte… Tous les modes de tourisme sont croisés.
Et il nous faut nous adapter à l’ADN de la région ! Nous ne sommes pas en Ardèche où l’on reste 15 jours. Les châteaux sont la tête de gondole mais, depuis 2006, nous avons surtout bénéficié du développement du tourisme à vélo. Nous sommes ainsi plutôt sur un camping de courts séjours (4 nuits) avec des familles à vélo. Ça veut dire un turn-over important. Mais aussi, qu’il est difficile de réunir du monde pour des excursions : nos clients ne vont pas dépenser une précieuse demi-journée pour aller visiter des producteurs de miel… À l’inverse, les services annexes à l’hébergement (bar, restaurant) fonctionnent très bien ! Enfin, quand nous n’avons pas de problème de personnel…
Nous avons proposé plein de services de ce type comme, par exemple, se faire livrer les courses sur place.
Nous avons aussi tenté de répondre au problème de mobilité. L’accès à la région est plutôt bon (sauf quand le train fonctionne mal…). Mais une fois qu’on arrive en gare de Blois-Chambord, comment fait-on ?
Nous avons mis en place le Cyclobus : c’est un service gratuit grâce auquel nous allons chercher les clients à la gare. Mais c’est un service qui reste limité et qui demanderait d’être mieux structuré de notre part. Ce qui nous freine, c’est que nous n’avons pas assez de ressources.
Nous avons essayé d’autres choses. Nous avions voulu faire quelque chose de souple avec la compagnie de bus Simplon : nous avions défini des horaires fixes pour emmener nos clients à Blois ou à Chambord pour 7-8 euros. S’il n’y avait pas assez d’inscrits, on pouvait annuler jusqu’à la veille ! C’était pratique. Mais, au final, ça n’a jamais fonctionné : nous n’avons jamais eu 15 personnes qui voulaient partir en même temps…
Nous avons aussi tenté de faciliter le covoiturage. Nous avions créé un espace dans la salle de détente où les clients pouvaient indiquer leurs trajets, leurs heures de disponibilité, leur emplacement de tente. Mais ça n’a jamais vraiment marché non plus… Nos clients sont farouchement attachés à leurs envies de liberté. En revanche, nous proposons de la location de véhicule avec nos partenaires. Ça, ça fonctionne, car ça correspond à des demandes individuelles.
J’ai parlé du personnel. Là aussi, nous avons un problème de mobilité : nous sommes en milieu périurbain. C’est très bien pour nos clients, mais comment peut-on faire venir nos employés ? Nous recrutons beaucoup d’emplois non qualifiés, et tout le monde dans ces catégories n’a pas de véhicule… Or, on ne sait pas emmener les gens à la campagne. Par exemple, la voie rapide est interdite aux vélos et cyclomoteurs. Et l’on ne sait pas les héberger. Quand une maison se vend, elle est tout de suite rachetée en Airbnb…
Quelle expérience mémorable aimeriez-vous qu’un touriste puisse vivre lors de son séjour en Centre-Val de Loire ?
Je n’ai pas d’idées nouvelles. Il y a déjà une richesse et une diversité très fortes ! Faire un tour à vélo, prendre un bac pour traverser la Loire… Tout ça existe déjà. Et nous avons la chance de ne pas être liés à un seul type de vacances.
Mais peut-être que ça manque juste de lien entre ces activités ? Est-ce que la mise en musique de cette richesse devrait être améliorée ? Comment pourrait-on faire pour mieux faire rêver le client ?
Peut-être qu’il faudrait être plus thématique… Par exemple, quand je regarde le site En Roue Libre : ça parle de tout, et je suis perdu. On y parle à tout le monde de la même façon, au randonneur et au motard. Il faudrait segmenter pour être précis ! Regardez, lorsque nous sommes partis en Corse, nous avions pris 2 ou 3 applications. Et j’en avais une spécialement pour voir les méduses.
Que faudrait-il améliorer pour rendre cette expérience possible ? Quel rôle pourrait jouer un écosystème d’innovation touristique pour y contribuer ?
Thématiser et s’adresser de manière plus précise à nos clients. Au sein de notre réseau, nous avons un CRM (“Customer Relationship Management”, un outil de gestion de la relation client) assez puissant, auquel tous nos logiciels de gestion sont reliés : nous savons qui aime quoi. Ce qui nous permet de faire des campagnes très ciblées. Et celui qui ouvre sait que ça va lui parler tout de suite. On ne s’adresse pas de la même manière à un motard ou à quelqu’un qui fait du canoé. Même si, pendant le séjour, cette personne peut faire les deux…
Concernant l’écosystème, j’ai d’abord une question pour vous : est-ce que vous vous êtes concerté avec les agences départementales de tourisme (ADT) et les offices de tourisme (OT) ?
En ce moment, je participe à un groupe de travail avec l’ADT 41 pour écrire le futur plan tourisme. En parallèle, je participe à des ateliers “Nouvelles Renaissance(s]”. La CCI 41 a également lancé une étude. Il y a aussi les pays et les agglomérations qui s’occupent du tourisme. Mais a-t-on besoin que tout le monde s’en occupe ?
Tenez, regardez cette carte touristique du département. Vous remarquez que tout est gris autour du département ? Il ne se passe donc rien dès qu’on a passé la frontière ? Mais, les touristes ne se posent pas la question des frontières. Ça ne les intéresse pas…
Au sein du réseau syndical, nous travaillons avec toutes les régions, car nous avons les mêmes problématiques. Mais dans le tourisme de territoire, c’est plus compliqué… L’action politique vient parfois perturber la bonne volonté des directeurs et des techniciens. Les ADT et les OT sont des spécialistes, avec un haut niveau de professionnalisation. Alors, comment aller au-delà de l’enjeu politique sur le tourisme ? Comment faire pour que le politique fasse plus confiance aux techniciens ?
Comment s’organise le tourisme en Angleterre ou ailleurs ? Vous savez s’ils ont trouvé une solution ? Mon sentiment est que les anglo-saxons ont réussi à aller au-delà des traditions, et qu’ils ont moins de freins. Ils arrivent à mettre un bâtiment ultra-moderne à côté d’une église classique. Peut-être qu’en France, nous avons une culture qui n’est pas assez audacieuse…
Nos points forts doivent nous tirer vers le haut, et nous ne devons pas nous disperser ! Pour être connu et reconnu, il nous faut une machine de guerre. Un CRT qui fait colonne vertébrale et relie les professionnels et les institutionnels pour définir une ligne politique, des ADT sur les départements qui appliquent cette ligne politique et pour laquelle ils ont été décideurs, et les OT qui les mettent en œuvre, et mettent aussi les clients au cœur. Dans ce schéma, les agglomérations et les pays oublient le tourisme ; on n’est plus en Touraine, on n’est plus à Blois : on fait rentrer les touristes en Val de Loire…
Et du coup, on ne se disperse plus. On fait équipe, et il y a du budget : tout passe dans cette machine de compétition. Et là, nous avons une force de frappe qui est assez puissante.
C’est comme ça que nous nous organisons au sein du réseau de campings. Copier sur l’entrepreneuriat pourrait donner des progrès… Car les touristes sont changeants ! Dans ce secteur, il ne faut pas de brides.
Finalement, à l’issue de nos discussions, comment définiriez-vous l’innovation touristique ?
Ah. C’est tellement vaste… L’idéal, ce serait de savoir ce qu’aimera le client dans 5 ans, et du coup savoir comment le mettre en place…
Certes, le COVID était inattendu. Mais il a fait voir des choses qui étaient déjà en cours, comme l’attraction de la nature. Effectivement, il est difficile d’anticiper les modes… Mais si on est plus fin, on les crée ! Ça demande de la communication et de la compétence.
Dans tous les cas, il faut se mettre dans la tête du client : quelquefois, ça nous décale, et ça nous surprend. Parfois même, ça ne nous fait pas plaisir. Ce n’était pas agréable de voir que la navette de bus avec Simplon n’a pas fonctionné. Mais rester à l’écoute et chercher à surprendre est indispensable.
Contact : Sophie Martinez Almansa, Responsable Innovation, Territoires et Compétences 07 84 16 03 81 – s.martinez@centre-valdeloire.org
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Cette interview a été réalisée dans le cadre d’une démarche lancée par le CRT pour créer avec les acteurs du tourisme un « écosystème d’innovation touristique ».
Laurent Cherrier
Directeur du Camping Les Saules et vice-président du Syndicat Régional Hôtellerie Plein Air
« Les touristes ne se posent pas la question des frontières. Ça ne les intéresse pas… »
Laurent Cherrier est directeur du Camping Sites et Paysages Les Saules à Cheverny, et vice-président du Syndicat Régional Hôtellerie Plein Air. Le tourisme qu’il aime, « c’est permettre des rencontres pour que ces visiteurs repartent avec des souvenirs, plutôt que des coups de soleil et des selfies ».
Laurent nous parle de ses succès et de ses échecs sur la mobilité des touristes, et de ses employés. Il nous parle aussi de data, qui lui permettent de segmenter les clients de son réseau, pour leur adresser des messages qu’ils vont ouvrir et avoir plaisir à lire. Mais, surtout, il nous fait part de son vécu sur la dispersion des initiatives, et de sa vision d’un écosystème touristique pour en faire « une machine de compétition touristique ».
Bonjour M. Cherrier, qui êtes-vous ?
Bonjour, je suis le directeur du Camping Sites et Paysages Les Saules à Cheverny. C’est un projet familial : nous l’avons acheté en 2003 avec mon épouse et ses parents. C’était un bel emplacement, qui avait été créé en 1985 et qui a été très connu. Mais, entre 2000 et 2003, il a été fermé et rouvert à plusieurs reprises. Quand nous l’avons racheté, il était en ruine… C’était une page blanche, et ça nous a permis de lui écrire une histoire, telle que nous le voulions !
Et nous avons voulu faire tout le contraire des autres ! À l’époque, dans les campings, il fallait avoir des animations : faire venir un chanteur, élire « miss camping », organiser des bingos… Mais, pour nous, le camping, c’est une bulle de liberté. « Je fais si je veux ! ». Ne pas avoir de contraintes horaires… Alors, notre positionnement a été d’organiser zéro animation. Si l’on veut faire les choses bien, il faut aimer ce qu’on fait et ne pas s’en écarter. Nous nous y sommes tenus, et c’est ce qui a fait la différence quand nous nous sommes installés.
Au-delà du camping Les Saules, je suis aussi impliqué dans plusieurs associations : je suis – entre autres choses – le vice-président du Syndicat Régional Hôtellerie Plein Air (SRHPA), et le vice-président du réseau national Sites et Paysages. C’est une chaîne de 50 campings à taille humaine et participatifs. Le camping tel que nous le concevons dans ce réseau, c’est de découvrir une région et de partager avec d’autres campeurs, pour revenir avec des souvenirs et pas seulement des coups de soleil et des selfies. On est connectés à la nature, mais aussi aux autres…
La rencontre est dans l’air du temps, et ce sont ces souvenirs qui nous aident à commercialiser.
Lorsque c’est vous qui êtes touriste, qu’est-ce que vous aimez ?
J’aime marcher, découvrir, bien manger. Avec mon épouse, nous aimons la randonnée urbaine et faire des road trips avec des étapes. Là, nous revenons tout juste de Corse !
Par contre, et peut-être que c’est dû à notre métier, nous n’allons pas chercher l’échange ou le partage quand nous voyageons… Nous avons, au contraire, besoin de créer une bulle très serrée autour de nous : nous n’allons jamais en chambre d’hôtes, nous n’allons pas faire de visites guidées. Mais il n’empêche que nous sommes des curieux actifs.
Avez-vous des projets d’innovation touristique dans votre camping ?
Avant Les Saules, nous gérions un autre camping blésois. Et un confrère nous disait qu’il fallait toujours surprendre, même si parfois ce n’est que la couleur qui change, car rien n’est acquis. Il faut toujours innover, créer de nouveaux services, aménager. Sinon, on régresse.
Et la clientèle change aussi. Il y a 35 ans, les campeurs étaient uniquement des campeurs : ils achetaient un guide de camping, on était dedans, et c’était facile. Mais maintenant, ils peuvent louer un Airbnb, aller dans un gîte… Tous les modes de tourisme sont croisés.
Et il nous faut nous adapter à l’ADN de la région ! Nous ne sommes pas en Ardèche où l’on reste 15 jours. Les châteaux sont la tête de gondole mais, depuis 2006, nous avons surtout bénéficié du développement du tourisme à vélo. Nous sommes ainsi plutôt sur un camping de courts séjours (4 nuits) avec des familles à vélo. Ça veut dire un turn-over important. Mais aussi, qu’il est difficile de réunir du monde pour des excursions : nos clients ne vont pas dépenser une précieuse demi-journée pour aller visiter des producteurs de miel… À l’inverse, les services annexes à l’hébergement (bar, restaurant) fonctionnent très bien ! Enfin, quand nous n’avons pas de problème de personnel…
Nous avons proposé plein de services de ce type comme, par exemple, se faire livrer les courses sur place.
Nous avons aussi tenté de répondre au problème de mobilité. L’accès à la région est plutôt bon (sauf quand le train fonctionne mal…). Mais une fois qu’on arrive en gare de Blois-Chambord, comment fait-on ?
Nous avons mis en place le Cyclobus : c’est un service gratuit grâce auquel nous allons chercher les clients à la gare. Mais c’est un service qui reste limité et qui demanderait d’être mieux structuré de notre part. Ce qui nous freine, c’est que nous n’avons pas assez de ressources.
Nous avons essayé d’autres choses. Nous avions voulu faire quelque chose de souple avec la compagnie de bus Simplon : nous avions défini des horaires fixes pour emmener nos clients à Blois ou à Chambord pour 7-8 euros. S’il n’y avait pas assez d’inscrits, on pouvait annuler jusqu’à la veille ! C’était pratique. Mais, au final, ça n’a jamais fonctionné : nous n’avons jamais eu 15 personnes qui voulaient partir en même temps…
Nous avons aussi tenté de faciliter le covoiturage. Nous avions créé un espace dans la salle de détente où les clients pouvaient indiquer leurs trajets, leurs heures de disponibilité, leur emplacement de tente. Mais ça n’a jamais vraiment marché non plus… Nos clients sont farouchement attachés à leurs envies de liberté. En revanche, nous proposons de la location de véhicule avec nos partenaires. Ça, ça fonctionne, car ça correspond à des demandes individuelles.
J’ai parlé du personnel. Là aussi, nous avons un problème de mobilité : nous sommes en milieu périurbain. C’est très bien pour nos clients, mais comment peut-on faire venir nos employés ? Nous recrutons beaucoup d’emplois non qualifiés, et tout le monde dans ces catégories n’a pas de véhicule… Or, on ne sait pas emmener les gens à la campagne. Par exemple, la voie rapide est interdite aux vélos et cyclomoteurs. Et l’on ne sait pas les héberger. Quand une maison se vend, elle est tout de suite rachetée en Airbnb…
Quelle expérience mémorable aimeriez-vous qu’un touriste puisse vivre lors de son séjour en Centre-Val de Loire ?
Je n’ai pas d’idées nouvelles. Il y a déjà une richesse et une diversité très fortes ! Faire un tour à vélo, prendre un bac pour traverser la Loire… Tout ça existe déjà. Et nous avons la chance de ne pas être liés à un seul type de vacances.
Mais peut-être que ça manque juste de lien entre ces activités ? Est-ce que la mise en musique de cette richesse devrait être améliorée ? Comment pourrait-on faire pour mieux faire rêver le client ?
Peut-être qu’il faudrait être plus thématique… Par exemple, quand je regarde le site En Roue Libre : ça parle de tout, et je suis perdu. On y parle à tout le monde de la même façon, au randonneur et au motard. Il faudrait segmenter pour être précis ! Regardez, lorsque nous sommes partis en Corse, nous avions pris 2 ou 3 applications. Et j’en avais une spécialement pour voir les méduses.
Que faudrait-il améliorer pour rendre cette expérience possible ? Quel rôle pourrait jouer un écosystème d’innovation touristique pour y contribuer ?
Thématiser et s’adresser de manière plus précise à nos clients. Au sein de notre réseau, nous avons un CRM (“Customer Relationship Management”, un outil de gestion de la relation client) assez puissant, auquel tous nos logiciels de gestion sont reliés : nous savons qui aime quoi. Ce qui nous permet de faire des campagnes très ciblées. Et celui qui ouvre sait que ça va lui parler tout de suite. On ne s’adresse pas de la même manière à un motard ou à quelqu’un qui fait du canoé. Même si, pendant le séjour, cette personne peut faire les deux…
Concernant l’écosystème, j’ai d’abord une question pour vous : est-ce que vous vous êtes concerté avec les agences départementales de tourisme (ADT) et les offices de tourisme (OT) ?
En ce moment, je participe à un groupe de travail avec l’ADT 41 pour écrire le futur plan tourisme. En parallèle, je participe à des ateliers “Nouvelles Renaissance(s]”. La CCI 41 a également lancé une étude. Il y a aussi les pays et les agglomérations qui s’occupent du tourisme. Mais a-t-on besoin que tout le monde s’en occupe ?
Tenez, regardez cette carte touristique du département. Vous remarquez que tout est gris autour du département ? Il ne se passe donc rien dès qu’on a passé la frontière ? Mais, les touristes ne se posent pas la question des frontières. Ça ne les intéresse pas…
Au sein du réseau syndical, nous travaillons avec toutes les régions, car nous avons les mêmes problématiques. Mais dans le tourisme de territoire, c’est plus compliqué… L’action politique vient parfois perturber la bonne volonté des directeurs et des techniciens. Les ADT et les OT sont des spécialistes, avec un haut niveau de professionnalisation. Alors, comment aller au-delà de l’enjeu politique sur le tourisme ? Comment faire pour que le politique fasse plus confiance aux techniciens ?
Comment s’organise le tourisme en Angleterre ou ailleurs ? Vous savez s’ils ont trouvé une solution ? Mon sentiment est que les anglo-saxons ont réussi à aller au-delà des traditions, et qu’ils ont moins de freins. Ils arrivent à mettre un bâtiment ultra-moderne à côté d’une église classique. Peut-être qu’en France, nous avons une culture qui n’est pas assez audacieuse…
Nos points forts doivent nous tirer vers le haut, et nous ne devons pas nous disperser ! Pour être connu et reconnu, il nous faut une machine de guerre. Un CRT qui fait colonne vertébrale et relie les professionnels et les institutionnels pour définir une ligne politique, des ADT sur les départements qui appliquent cette ligne politique et pour laquelle ils ont été décideurs, et les OT qui les mettent en œuvre, et mettent aussi les clients au cœur. Dans ce schéma, les agglomérations et les pays oublient le tourisme ; on n’est plus en Touraine, on n’est plus à Blois : on fait rentrer les touristes en Val de Loire…
Et du coup, on ne se disperse plus. On fait équipe, et il y a du budget : tout passe dans cette machine de compétition. Et là, nous avons une force de frappe qui est assez puissante.
C’est comme ça que nous nous organisons au sein du réseau de campings. Copier sur l’entrepreneuriat pourrait donner des progrès… Car les touristes sont changeants ! Dans ce secteur, il ne faut pas de brides.
Finalement, à l’issue de nos discussions, comment définiriez-vous l’innovation touristique ?
Ah. C’est tellement vaste… L’idéal, ce serait de savoir ce qu’aimera le client dans 5 ans, et du coup savoir comment le mettre en place…
Certes, le COVID était inattendu. Mais il a fait voir des choses qui étaient déjà en cours, comme l’attraction de la nature. Effectivement, il est difficile d’anticiper les modes… Mais si on est plus fin, on les crée ! Ça demande de la communication et de la compétence.
Dans tous les cas, il faut se mettre dans la tête du client : quelquefois, ça nous décale, et ça nous surprend. Parfois même, ça ne nous fait pas plaisir. Ce n’était pas agréable de voir que la navette de bus avec Simplon n’a pas fonctionné. Mais rester à l’écoute et chercher à surprendre est indispensable.
Contact : Sophie Martinez Almansa, Responsable Innovation, Territoires et Compétences
07 84 16 03 81 – s.martinez@centre-valdeloire.org